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Tunisie : Hommage à Fatma Bakir Cheikhrouhou, qui vient de tirer sa révérence

Mustapha Khammari ancien rédacteur en chef du Journal le Temps, salue la mémoire de Mme Fatma Bakir Cheikhrouhou- ancienne présidente du Conseil d’administration de Dar Assabah, et fille du fondateur du Journal arabophone, Habib Cheikhrouhou, décédée le 31 juillet 2023.

A travers cet hommage émouvant, qu’il rend à feu Mme Bakir, une femme affable et  magnanime, ayant marqué tous ceux qui l’ont connue, l’auteur de cette tribune fait replonger ses lecteurs dans ce climat d’effervescence et de clivage ayant vu naître Dar Assabah, alors que la lutte pour l’indépendance en était à sa dernière ligne droite.

Depuis que d’eau a coulé sous les ponts, cette prestigieuse entreprise médiatique, ayant formé des générations successives de journalistes et marqué de son empreinte le paysage médiatique national, se débat aujourd’hui pour sa survie.

Par Mustapha Khammari

Adieu Mme BAKIR

Une chape de tristesse s’est abattue sur LE TEMPS et DAR ASSABAH ainsi que sur les familles parentes, alliées et amies suite au décès soudain dimanche 30 juillet dernier, de notre chère consœur Fatma Cheikhrouhou BAKIR.

Dieu l’accueille dans son éternel paradis.

La triste nouvelle a ébranlé les rédactions où les anciens encore actifs ou à la retraite ont travaillé à ses côtés, se rappellent la place et le rôle que «Mme Bakir» -c’est ainsi que nous l’appelions au sein des salles de rédaction- accomplissait pour le bon fonctionnement interne et l’image  de DAR ASSABAH. Elle y assumait, avec clairvoyance et maîtrise, les hautes fonctions de Présidente du Conseil d’Administration de ce groupe privé, doyen de la presse écrite nationale. 

Fille du regretté Habib Cheikhrouhou, fondateur de Dar ASSABAH, la défunte était également rédactrice en chef du TEMPS HEBDO. Elle était aussi correspondante du magazine SAYDATY, où elle s’employait à faire connaître aux lectrices du monde arabe le rôle et la place de la femme au sein de la société tunisienne, tout en présentant des reportages sur la vie sociale en Tunisie, avec les acquis de la femme, les avancées de son statut et de ses droits ainsi que la place de l’éducation, de la culture et du patrimoine historique et civilisationnel de la Tunisie.

Parallèlement, elle participait à la gestion des ressources humaines de l’entreprise. Volontaire, avenante, dotée d’une grande capacité d’écoute face aux sollicitations du personnel, la défunte a contribué au maintien d’un environnement de travail serein ; contribuant au règlement des malentendus qui pouvaient perturber la bonne ambiance au sein des rédactions des publications du groupe.

Sa générosité d‘âme et sa proximité des équipes rédactionnelles et  techniques -son bureau se trouvait à l’étage des rédactions et non de celui de la direction- ont permis de consolider les passerelles de  collaboration entre les équipes rédactionnelles  des deux quotidiens Assabah et Le Temps ainsi que les hebdomadaires Assabah Al Ousboui, Assada, Sabah Al Kheir.

Mme Fatma Bakir, diplômée en géographie, a été attirée par le journalisme, dès son jeune âge  au contact de son illustre père.  Habib Cheikhrouhou menait alors un difficile combat pour éviter à ASSABAH les écueils de la période de sa parution en 1951, lorsque  le pays vivait les évènements de la lutte nationale pour l’indépendance.

Il fallait, notamment, tenir compte de la crise yousseffiste ainsi que des luttes intestines, des querelles de clans et des dissidences au sein du parti destourien déchiré par les manœuvres partisanes autour des orientations idéologiques et politiques de leaders aux opinions divergentes à propos des orientations et la manière de conduire la lutte pour l’indépendance. Les débats tanguaient entre le panarabisme nassérien des uns et le pro-occidentalisme des autres. Ces derniers se proclamaient du pragmatisme et revendiquaient l’indépendance de leur pays, au nom des valeurs défendues par les envolées idéologiques autour de l’émancipation des peuples, des libertés, de la justice et des droits défendus par l’Occident alors que sonnait le glas de ses colonies.

Habib Cheikhrouhou avait failli payer de sa vie l’engagement de son journal ASSABAH qui, déjà, revendiquait l’exercice de la nécessaire indépendance de sa ligne éditoriale. Il n’était pas aisé, à titre d’exemple, en ces temps troubles, de publier le discours, sans concession, du leader Salah Ben Youssef à la Mosquée Ezzitouna dans lequel il fustigeait “le pas en arrière” de l’autodétermination face au “zaim” Habib Bourguiba qui considérait la déclaration de Pierre Mendes France  de juillet 1954 devant Lamine Bey, annonçant la reconnaissance par la France du droit de la Tunisie à l’autodétermination, comme « un pas en avant » vers l’acquisition de l’indépendance totale.

Habib Bourguiba défendait «la politique des étapes» qui permettait, de son point de vue, de réaliser des acquis et de poursuivre la lutte sur le plan diplomatique après avoir donné des instructions aux combattants  de déposer les armes pour laisser la voie aux négociations, proclamant sa fameuse idée qu’«il ne fallait pas insulter l’avenir », afin d’établir avec la France une atmosphère favorable devant conduire au parachèvement de l’indépendance. La parole donnée sur les pages d’Assabah,au leader Salah Ben Youssef, dans un reportage signé Habib Boulares sur le discours de la Mosquée Ezzitouna, n’était pas du goût des comités de vigilance de la frange du parti destourien, fidèle à Bourguiba et opposée au « secrétariat général » que dirigeait S.B.Youssef.

La publication  du discours par Assabah a été dénoncée par les tenants de l’aile bourguibienne du parti destourien qui a  multiplié les menaces et les tentatives d’intimidation contre le propriétaire et l’équipe d’Assabah.

L’évocation, dans cet hommage à Mme Fatma BAKIR, de cette phase historique déterminante dans la suite du processus de l’indépendance, a pour but de souligner ses répercussions sur Assabah et la crainte  qu’elle suscita chez la famille Cheikhrouhou, concernée à juste titre par le danger de voir son Doyen payer de sa vie, l’indépendance et la neutralité de son journal.  Le commando des basses œuvres missionné pour en découdre avec «saheb Assabah» a investi le siège du journal cherchant «Lahbib». Prévenu, Habib Cheikhrouhou, avait évité de se rendre au siège du journal. Le seul Habib qui s’y trouvait était Habib Boulares qui fut pris pour le directeur du journal et physiquement malmené à sa place.

La regrettée Fatma Bakir Cheikhrouhou qui a vécu avec sa famille les angoisses et les peurs de la période de naissance d’ASSABAH, a préféré y poursuivre, aux côtés de son père, une carrière brillante qui lui a permis de veiller, avec la collaboration des équipes rédactionnelles, à la bonne tenue des parutions, afin qu’elles évitent les travers des mauvaises influences et la mainmise de la politique comme des lobbies d’argent. Cette vigilance confortait les choix de son père et garantissait la survie de son institution, laquelle s’est malheureusement retrouvée menacée après le décès de son fondateur et les péripéties qui ont suivi les changements survenus concernant le statut du groupe et qui l’ont mis dans la situation difficile dans laquelle il se trouve actuellement.

Fatma Bakir Cheikhrouhou nous quitte, alors que Dar Assabah, entreprise indépendante, vit un tournant qui conduit l’État à son plus haut niveau à intervenir pour opérer « le sauvetage d’un patrimoine national ».

Le credo de l’institution a toujours été l’indépendance éditoriale mise au service des objectifs de développement et de démocratisation de la vie politique même lorsque ce dernier  volet était encore à ses premiers balbutiements.

Toute réforme du statut de Dar Assabah gagne à se conformer à ce souci d’indépendance qui a marqué son itinéraire, lui valant parfois de dures épreuves, sinon de véhémentes remontrances traduites en privations de parts de publicité «officielle».

Toute la famille de DAR ASSABAH, durement affectée par le décès de l’un de ses membres les plus éminents, rend un vibrant hommage à une femme d’exception, une consœur dévouée à une entreprise et à une équipe qui ont marqué de leur empreinte l’histoire de la presse écrite tunisienne.

Je salue l’âme de notre chère consœur qui a  voulu poursuivie l’œuvre engagée par Habib Cheikhrouhou. J’y associe le souvenir de son regretté père qui a parié sur le secteur difficile de la presse écrite et fait confiance à des générations de femmes et d’hommes pour asseoir des traditions journalistiques de haut niveau qui participent à l’éducation du peuple, tout en le tenant au courant de l’évolution du pays en relayant le message de solidarité et d’attachement aux fondamentaux de la Nation, qu‘Assabah et ses publications ont toujours défendus. Ils en poursuivent la mission au service de la profession journalistique et des idéaux de justice et de liberté, le tout dans le cadre d’un paysage médiatique où les secteurs publics et privés œuvrent de concert, chacun de son côté dans le respect de la déontologie et des valeurs cardinales du vivre ensemble, dans un pays qui doit se réconcilier avec ses valeurs et ses fondements civilisationnels.

Allah yarham notre chère consœur , l’accueille dans son éternel paradis et aide sa famille éplorée à supporter cette dure épreuve.

Mustapha KHAMMARI

Ancien Rédacteur en chef du TEMPS

Je prie Dieu de recevoir notre chère disparue dans son immense miséricorde et d’aider les siens à supporter cette dure épreuve.

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