La Libye enquête sur l’effondrement de deux barrages après les inondations qui ont fait plus de 11 000 morts
TRIPOLI, Libye : Les autorités libyennes ont ouvert une enquête sur l’effondrement de deux barrages qui ont provoqué une inondation dévastatrice dans une ville côtière, tandis que les équipes de secours recherchaient des corps samedi, près d’une semaine après le déluge qui a tué plus de 11 000 personnes.
Le chaos en Libye a relégué au second plan l’entretien d’infrastructures vitales comme les barrages de Derna (est) dont l’effondrement a causé des inondations particulièrement meurtrières dans ce pays où deux entités se disputent le pouvoir, estiment des analystes et des politiciens.
Rongée par les divisions depuis la chute de Mouammar Kadhafi en 2011, la Libye est gouvernée par deux administrations rivales: l’une à Tripoli (ouest), reconnue par l’ONU et dirigée par le Premier ministre Abdelhamid Dbeibah, l’autre dans l’Est, affilié au camp du puissant maréchal Khalifa Haftar.
Les querelles politiques ont dégénéré à plusieurs reprises en combats meurtriers, mais un cessez-le-feu est largement respecté depuis 2020.
Dimanche, la tempête Daniel a frappé plusieurs zones de l’Est, en particulier Derna, ville côtière de 100.000 habitants, où deux barrages construits dans les années 1970 ont cédé sous la pression de pluies torrentielles, entraînant des inondations qui ont fait des milliers de morts et emporté des quartiers entiers vers la Méditerranée.
Bien que le drame se soit produit dans une zone sous le contrôle du camp de l’Est, M. Dbeibah qui siège à l’ouest, a estimé jeudi que l’absence de plans de développement adéquats et «l’usure causée par le temps» y avait contribué.
«C’est l’une des conséquences des querelles, des guerres et de la dilapidation des fonds», a-t-il déclaré lors d’une réunion avec des ministres et des experts, retransmise en directe à la télévision.
«Erreurs tragiques»
Après «des années de négligence, ne pas avoir procédé à des lâchers de barrage à l’approche de la tempête» a eu l’effet d’une «bombe à retardement», a déclaré à l’AFP Anas el-Gomati, analyste au Sadeq Institute.
Pour M. Gomati, «les autorités de l’Est, principalement l’ANL (forces du maréchal Haftar, ndlr), ont commis des erreurs de calcul tragiques et criminelles et n’ont pas assumé leurs responsabilités».
Selon lui, la décision de la municipalité de Derna d’imposer un couvre-feu dès samedi soir en prévision de la tempête «n’a pas protégé les citoyens, au contraire, il les a piégés».
Le patron de l’Organisation météorologique mondiale qui dépend de l’ONU, Petteri Taalas, a estimé que «la plupart des victimes auraient pu être évitées», pointant du doigt la désorganisation liée à l’instabilité politique dont souffre la Libye depuis des années.
L’ingénieur et universitaire libyen Abdel-Wanis Ashour avait pourtant alerté dans une étude publiée en novembre 2022 sur la «catastrophe» qui allait s’abattre sur Derna si les autorités ne procédaient pas à l’entretien de ses deux barrages, celui d’Abou Mansour, d’une capacité de 22,5 millions de m3, et Al-Balad, qui peut retenir jusqu’à 1,5 million de m3 d’eau.
Malgré cet avertissement, aucun travail n’a été accompli sur les deux barrages, bien que leur entretien soit prévu dans le budget et que la Libye, qui dispose des réserves pétrolières les plus abondantes d’Afrique, ne manque pas de moyens.
– «Ligne de fracture» –
Ces ouvrages, comme d’autres à travers le pays, sont négligés par les administrations qui se sont succédé depuis 2011, comme cela fut le cas également sous le régime de Kadhafi qui avait délaissé Derna qu’il voyait comme une ville rebelle.
«L’ampleur des dégâts enregistrés est une conséquence directe de la négligence des autorités de l’Est», estime M. Gomati.
Après les inondations, le Conseil présidentiel siégeant à Tripoli a demandé au procureur général d’ouvrir une enquête sur «cette catastrophe» et de poursuivre en justice toute personne soupçonnée d»erreurs ou négligences» ayant conduit à la rupture des deux barrages.
Face à l’ampleur de la dévastation, les rivalités régionales ancestrales entre la Cyrénaïque (région est) et la Tripolitaine (région ouest) et leurs querelles politiques ont laissé place à la solidarité.
Dans l’Ouest et le Sud, des collectes s’organisent via les réseaux sociaux, alors que plusieurs infirmiers, médecins et volontaires ont exprimé le désir de se déplacer à Derna, en se rendant à l’aéroport de Mitiga à Tripoli.
Mais le manque de coordination entre gouvernements rivaux et l’absence d’un pouvoir central compliquent l’organisation des secours.
«La division Est-Ouest va persister sous une forme ou une autre. Bien sûr, cette ligne de fracture n’est pas une bonne chose d’un point de vue logistique et d’un point de vue de l’efficience» des secours, estime l’expert Jalel Harchaoui, spécialiste de la Libye.