Bière : un business qui coule à flots !
« La blonde », « La patriote » ou encore l’élixir du bonheur, bien qu’on n’en propose que quelques marques, la bière est d’une grande importance pour le Tunisien lambda, le tissu économique, mais aussi les finances publiques. Mais alors, ce breuvage est-il aussi rentable que ça ?
Afin de répondre à cette question, nous devons nous pencher sur plusieurs aspects et analyser l’intégralité du processus permettant, à la fin du brassage, de savourer une bière bien fraîche. Produire de la bière nécessite un investissement assez conséquent. En Tunisie, onze marques de bière sont mises en vente sur le marché. Elles sont essentiellement détenues par deux géants du secteur à savoir la SFBT et la Sonabra.
La SFBT a été fondée en 1889, sous le protectorat français. Elle se spécialise, au départ, dans la vente de glace, puis décide à partir de 1925 de se lancer dans la bière avec une première marque baptisée Stella. La marque Celtia ne verra le jour qu’en 1951. L’entreprise est privatisée en 1979. Elle ne fera entrer la marque internationale Beck’s sur le marché qu’en 2009. L’entreprise a connu un « essor considérable, passant de trois à 25 usines et de 680 à plus de 6.000 employés », selon les informations publiées sur son site web. Quant à l’entreprise Sonabra, les informations se font rares. Elle a été créée en 2008 et a débarqué sur le marché en annonçant l’introduction des deux marques internationales Heineken et Golden Brau. Notons que d’après plusieurs articles de presse, la SFBT détiendrait plus de 85% de parts du marché de la bière, mais aucune donnée officielle ne peut confirmer cela. Selon les informations disponibles, la SFBT a produit 1.856.254 hectolitres, soit plus de 700 millions de bières.
Cette quantité de bière correspond à un chiffre d’affaires de plus de 53 millions DT et dont plus de 85% a été réalisé sur le marché tunisien. Le reste provient de la vente de bière destinée à l’export. Ce joli pactole ne profite pas seulement à la SFBT. La bière et les boissons alcoolisées de façon plus générale sont toujours assimilées à un rôle important dans l’économie tunisienne en raison du nombre d’employés, de la grande consommation, mais aussi de la taxation qui est, parfois, qualifiée d’excessive.
À partir de 2019, le commerce des boissons alcoolisées est soumis à une TVA de 19%. Le droit à la consommation est passé, à partir de 2021, de 0,018 à 0,024 dinar par centilitre, soit à près de 0,576 dinar par canette de bière (d’une capacité de 24 centilitres) et 0,792 dinar par bouteille de bière (d’une capacité de 33 centilitres). Ce droit est appliqué pour les producteurs exerçant une activité commerciale, pour les intermédiaires et pour les restaurateurs et les bars. En 2022, les droits annuels de ventes d’alcool sont passés de 750 dinars à 7.500 dinars pour la vente en gros et de 500 dinars à 5.000 dinars pour la vente en détail. En 2023, l’État a imposé au producteur, aux embouteilleurs et aux distributeurs de boissons alcoolisées y compris la bière une avance de 5% sur les gains réalisés par ses derniers. Ces chiffres-là justifient-ils les prix de vente en détails jugés excessifs ? Explique-t-elle qu’on accepte de servir des bières à huit, à dix ou même à douze dinars ? Répondre par un simple oui ou un non n’est malheureusement pas aussi simple que ça !
Revenons-en aux chiffres ! C’est eux et seulement eux qui nous permettront de comprendre les écarts entre les prix de vente des grandes surfaces et ceux des bars et des restaurants ! D’ailleurs, rappelons, à ce sujet, que des bars très bien fréquentés et avec un service plus qu’acceptable proposent des bières à cinq et à six dinars. Pas besoin de dépenser une fortune pour un petit apéro ou une soirée. Ces mêmes bars sont tous soumis aux mêmes normes. Ils paient la même TVA et le même droit de consommation. Selon une facture que Business News a pu consulter auprès d’un restaurateur, la caisse de 24 bières est vendue à des prix allant de 19,504 dinars à 21,977 dinars en fonction de la marque achetée. Le droit à la consommation est de 17,280 dinars. Ainsi, la caisse de 24 bières coûterait au restaurateur de 36,784 dinars à 39,257 hors TVA, soit un coût unitaire de 1,532 dinar à 1,635 dinar par bière hors TVA. Le coût final, TVA comprise, serait d’au moins 1,823 dinar et de pas plus de 1,946 dinar par bière.
Ce chiffre est loin, bien loin, des prix faramineux affichés sur certaines cartes, mais est, aussi, contraire à ce qui circule comme mythe selon lequel les bars achèteraient la bière à moins d’un dinar l’unité. Ce qu’il faut retenir dans la restauration, c’est que les commerces servant de l’alcool exploitent, théoriquement, ce produit afin de couvrir d’autres dépenses à savoir l’électricité, les spectacles et les troupes musicales, la décoration, les équipements ou encore les salaires. Les restaurateurs ayant accepté de nous parler de leur situation, nous ont expliqué qu’ils se fournissaient en bière auprès d’intermédiaires et non pas directement auprès du producteur. Les sociétés de production de bière n’accordent pas de délais de paiement ou de facilitation. La marchandise n’est déchargée qu’en cas de règlement de la facture. Or, les intermédiaires font preuve de plus de souplesse. Ils acceptent de livrer en contrepartie d’une promesse de paiement. Ceci aura lieu lors de la livraison suivante. Ce décalage entre le paiement des factures et l’approvisionnement en bière permet aux bars et aux restaurateurs de démarrer leurs activités et de la maintenir.
D’ailleurs, en Tunisie, nous comptons 17 entreprises de distribution de boissons. D’après les restaurateurs contactés par Business News, il n’y a pas de contraintes imposées par ces derniers. La vente de bière subordonnée (vente liée à l’acquisition d’autres produits proposés par les fournisseurs), n’est pas une pratique courante au sein de ce secteur contrairement à ce qu’on pourrait penser. Selon une déclaration médiatique du président de la chambre professionnelle de ce secteur relevant de l’Utica, Hamdi Dami, la TVA et le droit de consommation représentent 50% des prix de vente. Hamdi Dami avait affirmé, au micro de Diwan Fm le 19 décembre 2022, que l’intégralité de la TVA et du droit de consommation collectés au niveau de ce secteur représentaient près de 920 millions de dinars. Le 1/3 est collecté par les intermédiaires, c’est-à-dire, les distributeurs puis versé à l’État.
Pour ce qui est des prix d’achat, selon une facture présenté à Business News par un restaurateur, les prix d’achat de la caisse de bière en hors taxe varient de 19,504 dinars à 31,383 dinars, soit une bouteille de bière dont le prix varie de 0,812 dinar à 1,307 dinar. Le droit de consommation appliqué est de 17,280 par caisse soit 0,72 dinar par bouteille de bière et la TVA est de 19%. Ainsi, le prix d’une bouteille de bière coûtera 1,823 dinar à 2,412 dinars. Il s’agit là du prix d’achat de la bière, c’est-à-dire de la solution liquide. Il est à noter que la bouteille n’est pas facturée ou cédée au bar ou au restaurant proposant de l’alcool. Elle est facturée à 0,6 dinar l’unité, nous apprend un autre restaurateur en cas de perte. Il s’agit d’un prix assez surprenant puisque selon nos sources, la bouteille coûterait seulement 0,3 dinar au producteur. Le même restaurateur nous a appris qu’il s’est retrouvé dans l’obligation d’embaucher deux employés chargés de faire le tri des bouteilles vides, car chaque flacon doit être placé dans la caisse correspondant à sa marque. Il a expliqué que les pertes en bouteilles représentaient pour son business plus de 60.000 dinars par année.
Pour ce qui est de la vente dans les grandes surfaces, Business News a essayé de mener l’enquête. Néanmoins, le sujet semble être un grand tabou puisqu’on a refusé, même à titre officieux de nous communiquer toute information liée à l’achat en gros ou à la vente de bières. Les seules données disponibles sont celles liées aux prix de vente dans les rayons. Le breuvage est essentiellement vendu en canette et les prix varient de 1,860 dinar à 3,090 dinars l’unité de 24 cl. On optant pour le prix minimum aux alentours des 6%. En retirant une TVA à 19%, le prix est de 1,563 dinar à 2.596 dinars l’unité. En opérant une substitution du droit de consommation calculé à hauteur de 0.024 dinar par cl, on se retrouve avec un prix unitaire qui pourrait être de 0,987 dinar à 2,02 dinars par canette. Il pourrait s’agir du prix d’achat des grandes surfaces auprès du fournisseur. Or, ce montant n’inclut pas la marge de bénéfice que réalisent ces entreprises. Elle pourrait être faible et de seulement 3% où passer à 12% pour les grandes surfaces cumulant l’activité de distribution et de vente en détail. Les grandes surfaces peuvent faire preuve de flexibilité quant à la marge de bénéfice, car elles essaient de faire écouler un maximum de bière. Le facteur clé est la quantité vendue !
Le prix de l’achat de la bière en canette n’est pas communiqué. Mais d’après ce que nous avons pu obtenir comme information, il s’agit d’un secteur assez rentable. Ce que nous savons, c’est qu’une canette de bière vide ne dépasse pas les 0,25 dinar y compris le couvercle et contrairement à ce que les légendes urbaines véhiculent comme message. La barquette de 24 pièces coûterait seulement 0,1 dinar. Le plastique qui sert à emballer les canettes est d’une valeur négligeable. Nous sommes sur un total de produits ne dépassant pas les 0,3 dinars.
Business News continuera à mener l’enquête afin de vous apporter les chiffres liés à la production de bière et au véritable coût de ce produit qui fait quasiment partie du quotidien et de l’héritage culturel tunisien. Les données présentées jusqu’à maintenant expliquent nettement que le secteur réalise des opérations économiques assez conséquentes et qu’il est rentable. Nous vous communiquerons dans le futur plus d’informations au sujet du coût de production de ce breuvage, des bénéfices réalisés à ce niveau, mais aussi du coût de l’investissement pour la mise en place d’une brasserie.